Autant de sujets abordés avec lui dans son hôtel du quartier
des Halles, à Paris
(il y a ses habitudes parce que les salles de bains
sont équipées de jets de vapeur...),
puis dans un restaurant
voisin. Fumant comme un sapeur, buvant comme un trou, il tient paisiblement
des propos scandaleux.
Il parle aussi volontiers de Schopenhauer et de Kant,
ses maîtres à penser, que des émissions de télévision
les plus ineptes.
Et il décrit notre monde moderne, glacé, inhumain,
tel qu'il l'observe depuis l'île irlandaise
où il s'est reconstitué un
univers avec sa femme et son chien.
Sa vision des choses n'appartient qu'à lui,
il revient de manière obsessionnelle sur un certain nombre de thèmes,
et il est incapable d'aborder le sujet le plus banal sans y mettre un brin
d'originalité et une incroyable franchise.
C'est pourquoi, en écoutant
ses réponses bredouillées, entrecoupées de «bof»,
de «euh» et de «oui, oui»,
l'interviewer a l'impression
de sortir du journalisme littéraire habituel pour s'immiscer sur la
pointe des pieds dans l'histoire littéraire.
rencontre comparatif
Je me suis remis à écrire
au tout début 2000, à l'occasion
d'un séjour en Thaïlande.
En fait, je ne me déplace pas
spécialement pour écrire...
j'écris sur des endroits où je
suis déjà allé avant.
Je ne sais même pas à quoi ça
me sert d'y retourner, puisque je ne visite rien. Je ne sors pas de ma chambre.
Mais le fait d'être sur place m'aide...
Il y a un dépaysement
fort, une relativisation certaine des enjeux.
thai photo
thailande
thai girls
thailand girls
thai girls
Aujourd'hui, avec votre notoriété, vous ne pouvez plus vous inscrire
dans un voyage organisé comme celui que vous décrivez dans Plateforme.
M.H. Si, je vais retourner dans un club Eldorador la semaine prochaine...
mais
je pense que ce sera la dernière fois. Effectivement, il arrive que
des touristes me reconnaissent à l'étranger.
Ç
a me surprend
toujours... Je ne dois pas avoir une mémoire visuelle extrêmement
forte.
Ma femme reconnaît souvent des acteurs dans la rue.
Moi, jamais.
La seule personne que je reconnaisse, c'est Patrick Poivre d'Arvor.
Mais je
m'aperçois que la plupart des gens sont plus doués que moi.
Enfin... ça
va... ça reste à un niveau raisonnable.
Quoi qu'il en soit, vous allez désormais avoir du mal à observer
les gens autour de vous, à noter leurs conversations.
Vous n'êtes
plus protégé par l'anonymat.
M.H. Oui... C'est peut-être pour ça que je suis obligé d'écrire
des livres qui se passent à l'étranger.
C'est une raison mesquine,
mais réelle.
Plateforme, donc, est situé en partie à l'étranger et
traite à la fois du tourisme sexuel et de l'Islam.
Vous cherchez franchement
les sujets qui fâchent?
M.H. Je ne les cherche pas, je tombe dessus. A l'intersection de ces deux sujets,
il y a quelque chose qui m'a beaucoup frappé:
c'est de voir des touristes
arabes à Bangkok.
Je ne m'y attendais pas du tout... Je m'imaginais
bêtement que les musulmans étaient tous de bons musulmans.
Quand
on parle de l'Islam, on pense toujours au sort des femmes.
Et tout à coup
je me suis aperçu qu'il y avait aussi beaucoup d'hommes qui se faisaient
horriblement chier dans les pays arabes.
Contrairement à l'image qu'on
en a, beaucoup d'entre eux n'ont pas la foi et vivent dans la plus totale hypocrisie.
Quand ils viennent en Thaïlande, ils sont encore beaucoup plus frénétiques
que les Occidentaux dans leur quête du plaisir.
Ça a été le
point générateur du livre.
Et puis je me faisais une idée tout à fait fausse du tourisme
sexuel.
Je croyais que c'était surtout de gros Allemands âgés,
et j'ai découvert qu'il y avait beaucoup d'Anglo-Saxons jeunes.
J'ai
eu une espèce d'intuition... à savoir que pour les Anglo-Saxons,
la sexualité est une activité réservée aux vacances.
Le reste de l'année ils travaillent beaucoup... ils n'ont pas le temps...
et puis c'est trop difficile avec les Anglo-Saxonnes.
Elles sont tellement
chiantes, tellement compliquées. Si ces gens n'arrivent plus à faire
l'amour,
c'est parce qu'ils sont trop prisonniers de leur individualité.
Un élément de méfiance s'est installé, et avec
lui une espèce d'impossibilité.
Il y a trois ans, lors de la sortie des Particules élémentaires,
vous aviez pourtant déclaré à Lire que vous en aviez fini
avec le sexe.
M.H. Ah oui? Eh bien je m'étais trompé... C'est un peu dommage,
parce que je comptais vous dire la même chose cette fois-ci!
Le sexe, en somme, est votre marque de fabrique? Et vous, vous réussissez à faire
scandale,
bien que les notations d'une extrême crudité soient
devenues monnaie courante dans les romans français? Comment faites-vous?
M.H. J'ai une hypothèse immodeste: je suis meilleur que les autres dans
les scènes de sexe. Les miennes paraissent plus vraies.
A mon avis,
c'est lié au fait que je décris les sensations et les émotions,
alors que les autres se contentent de nommer différents actes.
Chez
mes collègues, c'est plus fantasmatique. Chez moi, on a une impression
de réalité retranscrite.
En général, ce sont les femmes que vous choquez le plus.
Est-ce
dû à votre approche masculine de la sexualité?
M.H. Euh... Je crois que les femmes sont plus faciles à choquer, de
toute façon.
Au fond, vous êtes un provocateur?
M.H. Je ne sais pas si c'est une bonne chose de choquer... En tout cas, c'est
une source d'emmerdements. Mais je me suis plutôt calmé...
Vous trouvez! Plateforme est tout de même une apologie de la prostitution!
M.H. Ah oui! Mais ça, j'assume à fond parce que je sais que j'ai
raison. La prostitution, je trouve ça très bien.
Ce n'est pas
si mal payé, comme métier...
En Thaïlande, c'est une profession
honorable. Elles sont gentilles, elles donnent du plaisir à leurs clients,
elles s'occupent bien de leurs parents.
En France, je sais bien qu'il y a des
oppositions, mais je suis pour une organisation rationnelle de la chose,
un
peu comme en Allemagne et surtout en Hollande.
A mon avis, la France a une
attitude stupide.
Vous êtes tout de même partisan de certaines barrières?
Contre la pédophilie, par exemple ?
M.H. Oui, oui, bien sûr. Je n'ai jamais été pour. Mais
j'ai pourtant bien cherché en Thaïlande, et je n'ai rien trouvé.
Je crois d'ailleurs que le pays n'est pas conseillé aux pédophiles,
ou qu'il ne l'est plus.
Les massages thaïlandais sont un moyen d'analyser ce que vous appelez
la «névrose occidentale».
Michel, votre personnage principal,
parle à un moment de son «immense mépris pour l'Occident».
M.H. C'est ce que je ressens depuis deux ans... Ça m'a pris d'un seul
coup. En observant le tourisme sexuel en Thaïlande,
compte tenu de l'opprobre
qui entoure cette activité en Europe, on se dit que les Occidentaux
sont vraiment des cons
M.H. La vengeance est un sentiment que je n'ai jamais eu l'occasion d'éprouver.
Mais dans la situation où il se trouve, il est normal que Michel ait
envie qu'on tue le plus de musulmans possible... Oui... oui, ça existe,
la vengeance.
L'islam est une religion dangereuse, et ce depuis son apparition.
Heureusement, il est condamné.
D'une part, parce que Dieu n'existe pas,
et que même si on est con, on finit par s'en rendre compte. A long terme,
la vérité triomphe.
D'autre part, l'Islam est miné de
l'intérieur par le capitalisme. Tout ce qu'on peut souhaiter, c'est
qu'il triomphe rapidement.
Le matérialisme est un moindre mal.
Ses valeurs
sont méprisables, mais quand même moins destructrices, moins cruelles
que celles de l'islam.
Vous n'avez donc aucune aspiration spirituelle?
M.H. Honnêtement, le désir de transcendance ne doit pas être
très violent chez moi. J'ai été fortement marqué par
ma formation scientifique.
Je crois à l'importance de la preuve.
L'explication scientifique des mystères de la vie vous suffit?
M.H. Elle est désagréable, mais elle est tellement convaincante.
D'ailleurs, mes romans ont en commun avec la méthode scientifique leur
côté expérimental.
Mes personnages sont un peu des expériences
que je fais avec mon cerveau, il y en a qui marchent, qui se développent
bien, et d'autres qui ne marchent pas.
Là, dans ce roman, je trouve
que Valérie est plus intéressante que les autres. Je l'aime...
j'ai eu beaucoup de mal à la quitter...
Valérie et tous vos personnages sont des gens ordinaires, des salariés
comme il y en a des millions en France.
M.H. Les gens que j'ai fréquentés depuis que je suis devenu connu
m'ont moins intéressé que les gens moyens.
De toute façon,
même si j'avais eu envie d'écrire sur le monde fashion, Bret Easton
Ellis m'en aurait détourné.
Il a fait ça très bien,
ce n'est pas la peine que je répète la même chose. De même,
je ne me suis jamais passionné pour les marginaux.
A mon avis, c'est
une insuffisance de ma part: un écrivain idéal, comme Balzac,
va partout. Mais... mais...
à un moment donné, il m'a paru spécialement
opportun de m'intéresser aux classes moyennes. Age moyen, situation
sociale moyenne...
Une opinion majoritaire me paraît toujours intéressante,
quelle qu'elle soit.
Dès que je vois un sondage avec des pourcentages,
je saute dessus!
C'est presque une maladie, quoi...
On a du mal à vous croire quand vous écrivez: «Les questions
politiques [...] ne sont pas mon fait.»
Non seulement vous prenez systématiquement
le contrepied des idées dominantes,
mais vous attaquez nommément
certains journalistes.
M.H. Cela va dans le sens de l'effet de réel, que j'ai énormément
travaillé dans ce bouquin.
J'adore quand Dostoïevski mentionne
tel ou tel publiciste complètement oublié dans ses romans.
J'aime
beaucoup lire les notes en fin de chapitre,
j'ai l'impression de plonger dans
un univers que je ne connaîtrai jamais: la Russie en 1864.
Et puis, c'est vrai, j'aime bien me foutre de la gueule de certains journaux...
Au nom de quoi les journalistes de gauche peuvent-ils parler de politique,
eux qui n'ont jamais rien produit? Ils ne savent rien faire, ils sont incapables
de fabriquer une table.
Leurs positions politiques sont non seulement ridicules
mais agaçantes.
On peut donc vous classer à droite?
M.H. Oh non... Je ne me sens pas non plus de droite, parce que les gens de
droite
que j'ai rencontrés ne m'ont pas convaincu du bien-fondé de
leur supériorité naturelle.
Enfin... je suis peut-être
de droite au fond. Mais je la trouve trop insolente avec les producteurs.
Je
n'ai jamais vraiment dépassé cette constatation qu'il y a des
gens qui travaillent et d'autres qui ne font rien.
Tout de même, vous tapez davantage sur les idées de gauche que
sur les idées de droite.
M.H. Mais il n'y a pas d'idées de droite!
Vous écrivez aussi: «L'humanitaire me dégoûte.»
M.H. Bien sûr qu'il y a des victimes dans les conflits du tiers monde,
mais ce sont elles qui les provoquent.
Si ça les amuse de s'étriper,
ces pauvres cons, qu'on les laisse s'étriper. Les nationalistes sont
des primates.
Si les gens sont suffisamment cons pour rêver à une
Grande Serbie, qu'ils meurent, c'est ce qu'ils ont de mieux à faire.
Et les coupables ne sont pas les dictateurs, ce sont les individus de base
qui ne pensent qu'à se battre.
Ils aiment avoir un fusil entre les mains,
ils aiment tuer, ils sont mauvais.
Quelqu'un qui prend une arme pour défendre
une cause, quelle qu'elle soit, me paraît essentiellement méprisable.
J'ai une grande admiration pour les Thaïs qui ont évité de
se mêler de toutes les guerres qui les entouraient.
Parfois, il faut bien se défendre?
M.H. Moi, je dirais non. Enfin, oui... oui... il faut bien se défendre.
Mais aucun belligérant n'aura jamais ma sympathie.
Il y a chez eux un
tel plaisir de tuer. Ils sont essentiellement grotesques.
Quand vous décrivez la violence des banlieues, et en particulier la
ville nouvelle d'Evry,
cernée par des hordes de barbares, vous tenez
un discours «sécuritaire».
Partagez-vous l'admiration des Français pour le général
de Gaulle ?
M.H. Euh... quand j'étais jeune, il m'énervait beaucoup. Non...
finalement... j'ai plus de sympathie pour Pétain!
Je trouve ça
facile d'aller faire le malin à Londres sans affronter les difficultés
réelles du pays.
Je n'aurais certainement pas été collaborateur,
mais pas du tout pour des raisons idéologiques.
La moitié de
mes amis sont juifs, et je pense qu'il en aurait été de même à l'époque,
parce que les juifs sont plus intelligents et plus intéressants que
la moyenne.
Je ne sais pas à quoi c'est dû, mais c'est comme ça.
Non, au fond, je crois que j'aurais été un collaborateur essayant
de sauver des juifs,
mais je n'aurais pas été à l'aise...
Je ne suis pas plus courageux que les autres... même plutôt moins.
On croise beaucoup d'Allemands dans Plateforme, comme dans Lanzarote, le récit
que vous avez publié l'an dernier.
On dirait que c'est le peuple qui vous est le plus sympathique?
M.H. Oui... oui... nettement. Ils sont vraiment intéressants.
Ce sont les plus tristes, ce qui doit sans doute dater du nazisme.
Je vais employer un cliché, mais après tout les clichés sont souvent vrais:
il y a chez les Allemands une réelle inquiétude métaphysique à laquelle
je suis sensible, jointe, ce qui est moins connu,
à un réel goût pour la vie. Ils sont très sexuels, mais pas égrillards.
C'est quelque chose qui m'a toujours exaspéré chez les Français:
cette passion pour les conversations sexuelles. Les Allemands agissent plus.
Ah bon?
M.H. Si, si, croyez-moi! Et puis ils aiment beaucoup rire. Ils n'ont pas d'humour
du tout, mais ils ont une tradition burlesque.
En discutant avec eux, j'ai
des bribes d'allemand qui me reviennent. C'était ma première
langue au lycée,
mais j'ai arrêté pour les mêmes
raisons que tout le monde: il faut bien dire que ça ne sert à rien.
Enfin... oui, j'ai un goût pour l'Allemagne... et ils me le rendent bien,
d'ailleurs.
Vous les préférez aux Français?
M.H. Bof... oui... Les Français m'énervent un peu avec leur volonté d'être à la
mode.
En fait, je trouve qu'ils sont encore plus soumis aux Américains
que les autres pays d'Europe.
Par exemple, j'ai été frappé de
voir que les élections américaines... Bush-Gore... étaient
beaucoup plus couvertes en France qu'en Irlande,
alors que les Irlandais ont
tous de la famille là-bas. Les Français se comportent vraiment
comme les valets d'une portion de l'Empire.
Une autre initiative m'a plongé dans
la stupéfaction: ces pétitions faites en France contre la peine
de mort aux Etats-Unis.
C'est hallucinant! Les Français sont si vaniteux
qu'ils ne veulent pas être en dehors de ce qui se passe, et aujourd'hui
tout se passe aux Etats-Unis.
Vous n'avez pas l'air d'apprécier ce pays! Pourtant, on vous imagine
assez bien leur consacrer un roman.
M.H. Oui, je m'imagine bien aussi. Si j'étais courageux, effectivement,
j'irais vivre aux Etats-Unis puisque c'est le pays qui me déplaît
le plus.
C'est très désagréable... je m'y sens mal tout
le temps. Mais vous avez raison. Après l'Irlande, j'irai peut-être
m'installer à Los Angeles.
Il faudrait que j'en parle à ma femme...
suite